jeudi 24 août 2017

l'action précède la pensée raisonnée

 

L’action précède la pensée délibérative

L’action est plus épaisse, plus féconde, plus grosse de réalité que la pensée.

Voici deux évidences qui sont battues en brèche depuis Platon, Descartes, par toute la philosophie moderne. En conséquence, les démarches courantes d’éducation, de développement de compétences, de management et de clinique des dysfonctionnements préconisent, de façon primordiale,  la compréhension causale des effets et la définition d’objectifs pour la réalisation de projet. La loi de février 2002 impose même, dans l'économie sociale, comme une obligation légale, la définition d’un projet personnalisé dans toutes les interventions d’accompagnement médico-sociales ! Quelles qu’en soient les raisons invoquées dans le but de protéger la personne des violences institutionnelles supposées inévitables [1], cette obligation légale est une altération fondamentale de la réalité de la vie professionnelle et de sa clinique.
 Et pourtant, la vie est là : dans l’action. La vie s’exprime comme l’ont montré Aristote et Blondel (1893) et plus récemment Mendel 1998) dans l’action qui est plus épaisse, plus féconde, plus grosse de réalité que la pensée.
Et c’est, elle, l'action qui suscite la pensée. Elle stimule par la sensorialité les schèmes cognitifs qui déclenchent des actions de base (cognitives et pragmatiques[1]) engrangées dans les bibliothèques de procédures cognitives et exécutives. Ensuite, seulement, la pensée réflexive va se re-présenter la séquence d'actions dans l'après coup afin d’ouvrir et programmer de nouvelles actions tout en augmentant les bibliothèques de procédures (fonction d'apprentissage). Les nouvelles actions seront plus riches de vie que la pensée qui les a inaugurées. Elles suivront le même processus de stimulation que nous venons de présenter.




[1] Les actions de bases cognitives sont les fonctions et opérations mentales primaires Michit 2016 quand l’art de manager devient une science). Les actions de bases exécutives ou pragmatiques peuvent aussi être considérées comme des forces psychiques (E Erikson enfance et société 1963 J Guindon les étapes de la rééducation 1976 et Michit H et R  identité psychosociale 1998)



Cependant, malgré tous les efforts de ces derniers auteurs, dont le but était de montrer l’inexactitude de la pré-existence de l’idée, la certitude des premiers demeure rivée à la croyance imaginée après analyse des apparences : ils affirment encore et toujours, sans remise en cause, que la pensée précède l’action. Pour eux : Il faut concevoir un but pour se mettre en action

De l’action à la pensée :

Analyse du processus des actions implicites


Une chef de service reçoit de son directeur, l’injonction évaluative suivante :
-          vous n’êtes pas assez directive
elle lui répond :
-          je ne suis pas d’accord avec votre jugement
mais lui poursuit, sans faire cas du refus d’accepter son appréciation, comme si elle n’existait pas  :
-          Il faudra faire une formation sur le leadership
Elle quitte la salle très en colère.
Ne comprenant pas ce qui s’est passé et cependant voulant revenir vers le directeur, mais ne sachant pas comment s’y prendre avec lui pour éviter ses foudres ou son outrecuidance,  elle raconte cet épisode à son coach.
Ce dernier lui propose de faire l’analyse des événements qui se sont passés en elle entre le moment où elle entend l’évaluation du directeur sur son mode de management et le moment où elle exprime son refus d’accepter l’évaluation. Le temps qui s’écoule est de l’ordre de la milliseconde et pourtant… le nombre des actions de pensée est étonnamment important sans que l’acteur puisse, seule, en prendre conscience facilement.
L’intervenant :
-          Qu’est-ce qui s’est passé au moment où vous avec entendu « vous n’êtes pas assez directive ! ».
La chef de service
- Je me souviens qu’à ce moment précis, me vient comme un éclair, la scène où il a été très directif avec le groupe de mes collaborateurs et, qu’après son intervention, tous sont venus me voir en disant : «  cela ne peut plus durer, il n’écoute pas et ne comprend rien de la réalité de notre travail. »
- et donc vous avez fait quoi avec cette image ?
- j’ai pensé que ce qu’il me disait n’était pas juste puisque le pratiquant, il a produit une réaction négative contre lui
- et vous avez fait quoi ?
- je n’ai pas voulu lui laisser dire quelque chose d’inexact.
- et vous avez fait ?
                            - je lui ai dit que je n’étais pas d’accord avec lui.
 - donc si nous reprenons la succession des actions faites entre le moment de la réception du message et le moment où vous exprimez votre réaction, nous constatons que vous avez :
1. entendu et pris en compte le message
2.  fais référence à une situation vécue
3. comparé l’énoncé proposé à la réalité vécue
4. évalué l’écart à la norme énoncée
5. nommé l’injustice de son appréciation
6. voulu lui dire votre désaccord, ne pas le laisser sous silence
7 énoncé à haute voix le désaccord.
- j’ai fait tout cela sans m’en rendre compte, en fait j’ai agi dans mon cerveau sans avoir eu la sensation d’avoir pensé ma réaction qui a été immédiate.
-          En effet, vous avez fait
1.       un acte d’attention
2.       un acte d’évocation d’une situation sans le vouloir. Cet acte d’association est une pure action du cerveau qui a des informations disponibles stockées dans sa bibliothèque des savoirs.
3.       un acte de comparaison. Cet acte est stocké dans la bibliothèque des actions disponibles autrement dit, des schèmes cognitifs de bases.
4.       un acte d’évaluation de l'écart entre sa pratique et le jugement de son directeur 
5.       un acte d'évaluation de l'injustice de son appréciation  
6.    un acte de vouloir énoncer son désaccord
7.     un acte de l’énoncer au lieu de le retenir ce que vous auriez pu faire. C’est  à ce moment précis de l’énonciation, qu’il est possible de constater que vous avez pris une vraie décision-action de faire cette action et pas une autre. Cette décision-action n’est pas de l’ordre de la délibération mais bien de l’ordre de l’action. Pour valider que c’est bien une décision-action, je vous propose d’analyser ce moment, infime dans le temps, pour voir ce que vous avez pris en compte pour dire ce que vous avez pensé.
-          Pouvez-vous vous rappeler ce que vous avez pris en compte pour dire votre ressenti, au lieu de renoncer à le dire en le gardant en vous.
-          Tout d’abord, en effet,  je perçois 1 l’injustice de l’appréciation,
car je perçois 2 la situation dans laquelle ce qu’il m’énonce n’est pas productif. Ensuite, je pense que je ne peux pas me laisser dire n’importe quoi
-          Vous percevez alors non seulement, deux perceptions mais aussi vous  distinguez un important « vous ».
-          OK, je vois la différence…
-          Ensuite, prenez-vous en compte d’autres choses ?
-          je ressens qu’il est impératif que je lui dise ce que j’ai en moi !
-          Ainsi 3, vous le percevez « lui » qui est l’auteur de l’injustice et 4 vous identifiez le moyen de lui signifier son erreur : la mise en mot de votre désaccord.
-          J’ai fait tout cela !!
-          En effet 4 éléments pris en compte et 2  importants distingués "vous et "la nécessité de ne pas laisser l’injustice sans réaction.    
-          Etonnant….
-          Est-ce qu’à ce moment vous  discernez votre directeur comme une personne qui serait un important à respecter en tant que personne ?
-          Pas du tout !
-          Ce qui serait le troisième important ou enjeux de la situation….. Si dans ce moment vous discerniez votre directeur comme pouvant faire une erreur et qu’il serait important de prendre en compte comme une personne est-ce que vous auriez réagi de la même manière ?
-          Je ne pense pas, j’aurai peut-être retenu ma réaction ou je l’aurai différé… je ne sais pas… Il aurait fallu que je hiérarchise différemment l’importance que j’accorde à chacun… Je ne sais pas, si j’aurai eu la force de le mettre avant le respect de la justice…. !
L’analyse de cet événement met en lumière que dans tout acte posé en réaction à un événement, son auteur met en œuvre plusieurs actions de pensée qui ne sont pas délibérées.
Le premier acte, comme nous l’avons vu, est l’acte de percevoir une information sensorielle, le deuxième est un acte d’appropriation qui fait faire des évocations au regard des expériences vécues, le troisième est un acte de comparaison entre les deux événements. Cet acte induit nécessairement un acte d’évaluation. Ces opérations se réalisent par l’activation des schèmes cognitifs des actions de base.
Enfin  les deux actes ultime relèvent de la formulation de ce qui vient de se passer et de la décision d’énoncer ou de retenir le produit de ces actions.

Ces actes de penser sont à l’origine de toute les pensées délibératives qui vont conduire à déterminer un objectif à mettre en œuvre de façon plus raisonnée et réfléchie.
A la suite de l’entretien, Madame a décidé d’aller revoir le directeur, moins en colère, car mieux outillé pour apporter une argumentation construite, qui devait faire plus attention au directeur en tant que personne  afin de discuter avec plus de distance de ce qui lui permet de dire qu’il faudrait qu’elle soit à ses yeux plus directive. Elle pense pouvoir demander des exemples afin de pouvoir étayer  la nécessité ou pas  de faire une formation et laquelle.    






[1] Les institutions sont perçues et déclarées comme non spontanément bienveillante par la ministre déléguée à la famille dans le discours de présentation de la loi de rénovation de l’action sociale. Par ce principe la loi va introduire les fondamentaux d’une anti-constitutionnalité du fait que la présomption d’innocence n’est pas inscrite dans les bases de la loi !

mardi 4 juillet 2017

le Serviteur


1-Dirigeant et hiérarchique exercent l’autorité de service



Préambule



Lorsque Machiavel entreprit d’écrire « le prince », il avait l’expérience de l’exercice du pouvoir de domination dans les différentes principautés italiennes de XVIième. C’était le pouvoir d’un homme fort qui avait conquis une principauté ou une république, et qui la gouvernait en tentant de conserver son pouvoir. En formalisant la pratique du pouvoir comme pouvoir de conquête et de domination, il en rationalisa les fondements.

 Cette pratique sera théorisée par Marx avec la doctrine de la lutte des classes. Actuellement, la pratique du pouvoir est encore  prégnante dans la pratique des rapports hiérarchiques comme dans l’enseignement universitaire commun fondant le management. Ce faisant, Machiavel structurait la contradiction la plus radicale des origines Juive et Grecque  de l’occident ; telle une perversion  qui avait opéré depuis des siècles sur les gouvernants et qui contrecarrait la pédagogie fondatrice et innovante du Maître de Nazareth[1] enseignant en parole et en acte que «  le plus grand doit être le serviteur ». Par la suite, les penseurs et promoteurs du pouvoir hiérarchique se placèrent, par défaut d’analyse,  ou par facilité idéologique dans la même logique, celle que tout hiérarchique exerce inévitablement un pouvoir de direction et de décisions contraignantes.

La contribution suivante sur le serviteur est un essai dans le but d’établir que cette position n’est pas seulement une discordance de point de vue mais elle est une perversion de la fonction du "chef".



1-1-La place de l’autorité de service, indispensable à un groupe, provoque des réactions de défiance



Dans les organisations, la place de direction ou de management pose une question à ceux qui la prennent, la tiennent, la portent ou la servent, et aussi à ceux qui l'utilisent, la subissent, la dénigrent ou s'en défient.

Nombre d’expériences sur la dynamique des groupes montrent que cette place est indispensable et incontournable pour l'existence et le fonctionnement d'un groupe de production.

Un groupe, sans chef, devant atteindre un objectif de production (de biens, d’idées, de culture, de santé, d’éducation), s’organise spontanément  dans le but de mettre en place la fonction de coordination qui assure la cohérence des activités et des actions de chacun de ses membres

Il est tout aussi remarquable de constater que certains participants peuvent se défier de la personne ou du groupe de direction occupant cette fonction.

Ils ont tendance à dénigrer ses actions, la vivent comme une instance qui réduit les libertés individuelles d'action car elles doivent être soumises à l’atteinte du bien commun. Ils attribuent, ainsi, à la fonction de direction, d’animation et de coordination, un pouvoir de contrainte.

Il est vrai que le service de la coordination donne, à ceux qui l’exercent, "un pouvoir d’action"  sur les personnes puisqu’ils vont les organiser en fonction des activités à réaliser. Ainsi opérer une dérive de ce pouvoir d’action déterminé par le service du bien commun vers un pouvoir de contrainte est facile. Il suffit que celui qui exerce l’autorité de service ne fasse pas référence à une analyse objective du bien commun et des moyens pour l’atteindre. S’il se laisse déterminer par les certitudes acquises lors de son expérience il est pris dans les rets du pouvoir de ses bons vouloirs. Il existe, entre ces deux pouvoirs, une différence ténue, si bien que le serviteur hiérarchique doit les tenir sans cesse dans une tension paradoxale.



La dérive si souvent observée est-elle inévitable à la fonction hiérarchique de  coordination ?



Si, nous montrons qu’elle n’est pas inhérente à cette fonction, alors comment est-il possible d’empêcher que cette dérive vienne pervertir les rapports de coopération?







1-2- La dérive n’est pas structurelle à la fonction ; la connaissance de la différence des formes de pouvoir rend possible la réduction de la tension paradoxale.





Pour montrer que la dérive d’un pouvoir à l’autre n’est pas structurelle et inhérente à l’exercice de l’autorité liée à la fonction hiérarchique,  il convient de poser, puis de répondre aux questions suivantes :



 Où se trouve l'autorité de contraintes ?



Quelle que soit l’activité de production, quelles que soient les fonctions (technicien exécutant, chef d’équipe, chef de service, cadre de direction,) ce qui contraint les actions et décisions des professionnels réside dans les lois de la réalité qu’ils ont à transformer pour fabriquer leur objet (matériel, immatériel, spirituel), dans les lois de l’environnement  (naturel, social, législatif) qui conditionnent leur production.  

La réponse s’impose donc : l’autorité de contrainte qui a le pouvoir d’imposer des décisions et des actions se trouve dans la structure de la réalité à transformer et à utiliser, et dans la structure et le fonctionnement du produit à réaliser.



Où se trouve l'autorité d'exécution ?



Ceux qui manipulent, conditionnent le transport des matières premières, ceux qui utilisent les outils permettant de fabriquer les objets, ceux qui réparent les machines et ceux qui organisent toute la logistique inhérente à la production et à l’acheminement des produits, travaillent  sous la contrainte de leur  réel spécifique.

Ces professionnels techniciens développent une expertise qui leur donne une autorité. En effet, on dit communément d’un expert qu’il fait autorité dans son domaine :

Cette autorité d’exécution lui donne un pouvoir d’exécution :



·         un pouvoir d’agir à la fois sur la manière grâce à son habileté à manipuler les outils appropriés à sa production,



·         un pouvoir de soutien auprès des moins compétents



·         un pouvoir de transmission de son savoir-faire à ses pairs.



Ces pouvoirs ne sont en aucun cas de la nature d’un pouvoir de contrainte ou de domination. Un professionnel exécutant excelle dans sa discipline du fait qu’il en connaît et en respecte ses lois et qu’il s’y soumet. C’est par abus de langage et par dérive sémantique qu’on dit, qu’il domine son sujet lorsqu’il excelle dans une habileté à accepter et à utiliser les lois qui le contraignent et le dominent.



 Quel est donc l'autorité que peut exercer un manager, directeur, chef de service ou chef d’équipe, qui occupe la fonction hiérarchique de cohésion et de coordination des personnes sub-ordonnées et la fonction organisatrice des activités indispensables, complémentaires et antagonistes[2]?



Il ne peut pas occuper le pouvoir de contraindre puisque ce pouvoir revient à l’autorité de contrainte sise dans la réalité.

Il ne peut pas occuper le pouvoir de fabrication, il appartient à l’autorité d’exécution.

Il reste quelle autorité indispensable pour qu’un groupe de production fonctionne?



Il reste l’autorité de service, d’une part, le service des collaborateurs, d’autre part, le service de la réalité.

L’autorité du service des collaborateurs se compose de la compétence à choisir les bons professionnels qui auront les compétences pour exceller dans l’utilisation des outils, de la compétence de soutien de chacun lorsqu’ils sont en difficulté, de la compétence de coordonner leurs actions et de la compétence d’animation de leurs relations afin de créer un collectif compétent par la complémentarité des individualités.

L’autorité du service de la réalité se compose de la compétence à connaître les lois de la réalité à transformer dans un environnement contraignant et la compétence d’organiser la succession des activités qui permettront de produire selon une efficacité maximale en économisant la matière, le temps et les énergies. 



Le pouvoir qu’octroie au hiérarchique l’autorité de service est un pouvoir d’action œuvrant  pour que chacun puisse prendre sa place dans l’univers contraignant de la production. Le hiérarchique se trouve donc recevoir une autorité et un pouvoir de service :

 il est le serviteur.



1-3-Le pouvoir de contrainte et de domination exercé par un humain ou un groupe  est une perversion





Dans les conditions de la complémentarité des autorités et de leur pouvoir d’action propre à chacune, tout pouvoir de contrainte et de domination exercé par un humain ou par un groupe est une perversion[3] En effet, celui qui l’exerce a usurpé le pouvoir que seule la structure de la réalité et ses lois possèdent en propre.

 Autrement dit, couramment, quantité d’individus (hiérarchiques, experts, élus),  utilisent leur pouvoir d’action pour contraindre et dominer ceux qui sont occupés à réaliser leur tâche d’exécution permettant l’atteinte du bien commun. Dans tous les cas, ces humains se positionnent dans une place qui n’est pas la leur, ils l’usurpent à la réalité qui seule possède le pouvoir de contraindre. Ce faisant ces humains se positionnent en dominateur de leurs semblables rompant le principe d’égalité au regard des contraintes de la réalité. Ils le font en dehors de toute légitimité et sans aucun droit car ils ont perverti l’exercice de l’autorité qui leur a été confiée ou qu’ils ont prise; que cette autorité et son pouvoir d’action proviennent du service de la coordination (propre à la fonction hiérarchique) ou que cette autorité et son pouvoir proviennent de son expertise. Ainsi, il est courant de constater que certains experts transforment leur pouvoir d’action en domination des proches collaborateurs (cela peut arriver chez des personnes qui prennent le leadership d’un groupe).

Le mécanisme de cette perversion relève d’une succession de micros déplacements généralement[4] orientés par l’efficacité au service de l’atteinte des objectifs de production.  Au début d’une prise de poste de management hiérarchique, les occupants reçoivent cette fonction comme un service qu’il convient de rendre pour organiser la coopération des professionnels et la coordination des activités.

 Cependant, en soi, le pouvoir d’organisation des personnes implique d’orienter les intérêts individuels vers l’intérêt commun. Il arrive qu’un intérêt individuel résiste à cette orientation, l’organisateur alors va tenter de le ramener dans la coopération en faisant référence aux exigences de l’activité.

Si le professionnel poursuit dans son refus et sa résistance alors le hiérarchique sort de la position de service et aura tendance à lui imposer son point de vue en hiérarchisant l’atteinte de l’objectif de production comme plus important que le service du professionnel. Il mettra en œuvre des stratégies pour tenter de soumettre le récalcitrant à la réalité de production du moment…

Les effets sont la création d’un sentiment d’injustice et de non reconnaissance.

Ainsi sans vouloir dominer, celui qui est dans la place du service de la coordination des activités et de la coopération professionnelle, s’identifie aux contraintes de l’activité et de la production. Il commence à diriger en prenant la place de la contrainte qui le contraint. Il parle au « je » en lieu et place de la réalité, au lieu de demander, il commande. On surprend le hiérarchique à dire « je vous demande de… ». Il commande d’agir en son nom alors que c’est la situation et sa loi qui oblige. Il vient de faire son premier écart et sa première perversion sans qu’il s’en rende compte et très souvent sans que ses collaborateurs s’en sourcillent le moins du monde.

Cependant le ressentiment d’injustice trouve là sa première accroche. Par défaut et écart de langage, il commande et ses collaborateurs sub-ordonnés se soumettent à ses paroles. Ainsi, il commence à les dominer et eux à se subordonner pour atteindre l’objectif de production. Le mécanisme est rapide car le serviteur oublie sa fonction et par efficacité et par raccourci, il se substitue à ses contraintes. Il devient contrainte et donne des ordres parfois même avec grande suavité dans ce qu’on appelle le management participatif où la contrainte est masquée par la politesse. Il est incontestable que donner des ordres est plus rapide et plus efficient, en apparence seulement, car les effets sont destructeurs en peu de temps et irrécupérables la plus part du temps par celui qui en est leur auteur.



Le mécanisme en est le suivant : très vite, la résistance de la réalité ne va plus être perçue comme une caractéristique de la réalité qui résiste et qui contraint. Leurs difficultés au travail, la pénibilité de la tâche, la résistance de la réalité à leurs manipulations pour la transformer ne seront plus perçues par les exécutants comme une conséquence inhérente à la situation de travail. Ils l’attribueront à une erreur (voire une volonté) du chef qui ne donne pas les bons moyens, qui n’organise pas comme il faut les activités et les compétences et qui contraint en fonction de ses idées sans lien à leur réalité. Peu à peu, se crée le sentiment que le chef seul contraint.  



C’est ainsi qu’il advient ce que nous observons très souvent voire toujours dans les organisations hiérarchisées, que le pouvoir de contraindre et de commander est donné par des collaborateurs à un chef ou expert à qui ils attribuent le pouvoir de soumettre, quand ces exécutants ne peuvent plus ou pas accepter les prescriptions et assujettissements  de la réalité  qui leur résiste et met en défaut leur compétence. Ils se rendent ainsi sujets assujettis à celui à qui ils attribuent faussement et improprement un pouvoir qu’il ne possède pas. C’est la position de tous les adhérents à la pensée de Marx qui attribuent improprement      au patronat et à tout hiérarchique une position structurelle d’oppression. Toutefois cette attribution avait été tout à fait appropriée puisque de multiples situations de prolétariat ont été vécues au moment de l’industrialisation où certains industriels ont été happés par l’appât immodéré du gain. La position sclérosée de la lutte des classes favorise la mise en place d’un contrepouvoir de domination ce qui relève de la même démarche d’usurpation d’un pouvoir illégitime. La confrontation de pouvoirs usurpés relève d’une perversion redoublée. Elle ne résout pas les problématiques du dialogue social ni dans les entreprises, ni dans la société.  Ceux qui instaurent la résolution des problèmes par le conflit de pouvoirs de soumission se rigidifient dans une unique conception : celle que les rapports de pouvoirs entre les individus et les groupes est un incontournable de la condition sociale[5]





1-4-Le serviteur en place d'autorité de coordination et d'organisation a besoin d’une compétence spécifique pour éviter de transformer son pouvoir d'action en pouvoir de soumission 



Comme pour toute expertise technique, il est nécessaire de posséder une compétence spécifique. Il en est de même, pour tenir la position de l’autorité du service des personnes et de la réalité à transformer. Ainsi, pour maintenir le cap, sans s’engager dans une dérive de changement d’autorité et de pouvoir comme nous venons de le voir, il convient de posséder les compétences permettant de travailler avec l’humain en interaction avec la machine et la nature. La grande difficulté pour l’exercice de cette compétence réside dans le fait que les manières de communiquer entre les humains ne sont pas stables. Les façon de s’exprimer dans les relations dépendent de l’objectif[6] que les personnes choisissent lorsqu’elles entrent en relation avec un partenaire (individu ou groupe). Par exemple, elles veulent coopérer ou cherchent à défendre des intérêts personnels). Une erreur sur l’objectif de relation, convenu entre des interlocuteurs, produit une tension qui se transforme très rapidement en conflit, si cette tension n’est pas immédiatement levée. De plus, comme ces décisions varient selon les moments de la journée, en fonction des conditions de l’environnement et selon les compétences des individus à maintenir fidèlement un objectif de relation, cette instabilité demande une attention et une vigilance sans faille. 



1-5-Tout manager doit maîtriser la compétence du serviteur des personnes et de la réalité. Il convient de dégager les lignes directrices de cette compétence en termes de connaissances et de savoir-faire[7].



Entrer en relation avec des personnes implique de communiquer. Le hiérarchique serviteur doit donc connaître les phénomènes de la communication spontanée et ceux de la communication productive ou opérationnelle.



La communication spontanée est subjective. Elle est marquée par l’interprétation des propos à partir de l’expérience des interlocuteurs qui se placent spontanément en centre de vérité. L’interprétation induit toutes les formes d’incompréhension et donc produit, en fonction des enjeux de la relation, des écarts plus ou moins importants pour la sérénité communicationnelle. Les outils de la communication spontanée relèvent par exemple des outils de l’écoute active, de la communication non violente ou  participative. Les plus fréquents sont : la quête d’informations, écoute empathique, la reformulation, l’énoncé d’avis et de point de vue, l’exposé de causalité, la proposition de conseil, l’expression d’évaluation d’accord ou de désaccord, l’appropriation des propos ou des situations présentées, les associations libres …). Ces outils sont communément utilisés sans réflexion



La communication productive libère des effets indésirables de la communication spontanée en déplaçant le centre de vérité de l’expérience des interlocuteurs vers la structure de l’objet qu’il s’agit de connaître et de partager.

Elle implique une décision volontaire, un changement d’attitude, une méthode qui sort des habitudes,  et une maîtrise des outils propres à cette communication opérationnelle.







2.   Le changement d’attitude



Il s’agit d’une part d’accepter que tout premier échange, toute première parole, tout premier récit n’est pas exact.  Les premières paroles représentent un avis, un sentiment, une représentation que son auteur croit authentiquement vrai et juste. Pour lui, il n’est pas dans une attitude structurelle de « point de vue » même si de façon rhétorique, il commence son propos par « à mon avis »….



D’autre part, comme l’auteur de premiers récits les croit exacts, justes et vrais, l’attitude du récepteur consiste à toujours accepter l’avis de son interlocuteur comme exact, juste et vrai pour lui. Il conviendra donc de ne jamais le contredire ou d’exprimer un autre point de vue différent ; non par démagogie mais par égard de sa parole et donc pour respecter l’identité de celui qui parle de sa vérité. S’il n’y a pas ce respect de la personne, la relation s’engage inévitablement dans une spirale de tensions et d’incompréhensions qui peut aller jusqu’au conflit de défense identitaire[8].



Toutefois, comme tout premier énoncé de communication est nécessairement inexact, il convient à son récepteur, serviteur de la réalité à connaître, d’interroger la manière dont son auteur la construit. Le but, pour le hiérarchique serviteur, consiste à découvrir la logique de penser de ce lui qui communique son point de vue, de découvrir les éléments qu’il a pris en compte et par ce travail d’investigation de sa pensée de l’aider à découvrir des éléments de la réalité exprimée qu’il aurait oubliés ou ceux qui ne seraient pas conformes à une observation plus méticuleuse de la réalité présentée.

Cette démarche de communication, dite productive, est donc entièrement inscrite dans une démarche de bienveillance et de reconnaissance des personnes avec l’objectif d’être minutieusement respectueuse de la réalité dont il est question dans les échanges. En effet, celui qui conduit cette communication n’a de cesse que d’ajuster le discours sur la réalité à l’exactitude des propositions qui la représentent. La maitrise des outils : Le serviteur est un stratège de la coopération



Pour accéder aux deux objectifs du service de la réalité et des personnes,  deux outils sont indispensables au hiérarchique serviteur.

Il s’agit de la technique d’explicitation des récits et celui de la schématisation des situations.



1.     L’explicitation des récits



L’explicitation des récits se présente en quatre étapes.



a.       après avoir reçu et accepté comme authentique et juste le premier récit d’un interlocuteur,

b.      il s’agit de demander à son auteur de  raconter avec précision le récit de l’évènement vécu si c’est une séquence d’actions[9].

c.       Ayant obtenu ce deuxième récit qui précise les éléments de l’objet ou de la situation à connaitre, il convient de s’intéresser à tous les verbes d’action présents dans ce récit. Il s’agit de les nommer, d’en expliciter la  catégorie d’actions à laquelle il appartient. Puis il s’agit de faire découvrir leurs conséquences ou leurs effets sur l’environnement et sur celui qui a posé ces actions. Ce temps permet de faire découvrir quantité d’actions qui n’avaient pas été perçues par celui qui les a faites. Il prend ainsi de la distance avec sa représentation et s’approche de façon plus objective de la réalité dont il parle.

d.      En dernière étape, il convient  de prendre une des actions-décisions réalisées qui apparaît significative, dans le but de mettre en évidence, avec l’interlocuteur, les éléments qu’il a pris en compte pour la prendre au moment où il l’a prise. Ces éléments sont des perceptions, (perceptions sensorielles, identification de la loi de la situation énoncée avec ses règles, un moyen mis en œuvre) et des enjeux présents et pris en compte dans le moment de l’action[10].



2.     La schématisation



La schématisation permet d’accéder à la structure d’un objet ou d’une situation. Elle  consiste à mettre en évidence tous les éléments simples constitutifs de l’évènement ou de l’objet en question, de les disposer dans l’espace, de façon à pouvoir représenter par des flèches (par exemple) toutes les relations qui relient ces éléments. Puis, il convient de nommer ces relations de façon à les caractériser selon des catégories connues.



Ce schéma met en évidence très rapidement la structure et la loi de la situation ou de l’objet en question. Cela permet de faire advenir l’ensemble des contraintes de la réalité envisagée indépendamment des subjectivités de ceux qui participent à la construction du schéma.

Par la schématisation le serviteur fait vérité et fait faire vérité à ses interlocuteurs.

3.   Une décision volontaire



Ces deux outils impliquent que les interlocuteurs soient dans une relation de coopération, car ils amènent chacun à regarder l’objet de leur  communication comme le centre de vérité à connaître en se libérant de ses certitudes, de ses opinions et de ses points de vue.



En conséquence, en tout premier lieu pour conduire à bien sa fonction de gouvernance, de management, d’animation et de direction d’un groupe, le hiérarchique serviteur doit s’assurer que ses interlocuteurs sont réellement en coopération. S’ils ne le sont pas, il doit impérativement les conduire à faire le choix de coopération. Pour cela, il convient qu’il les aide à dépasser leur crainte, leur peur, leur représentation sociale, leur a priori plus ou moins idéologique. Le temps pour arriver à cette position de coopération peut être très long pour certains qui ont un passé militant ou un vécu d’injustice. Il arrive même que certains collaborateurs pris dans des logiques idéologiques d’inspiration marxiste ne parviennent jamais à accéder à ce type de relation avec leur hiérarchique. Inversement, les idéologies financières ne créent pas la coopération entre actionnaires et collaborateurs.

Afin de parvenir à créer une relation de coopération avec des déçus, des frustrés et des désenchantés de la gouvernance, l’attitude de bienveillance est indispensable. Dans un premier temps, cette attitude oblige à ne jamais s’opposer à leur représentation. Il s’agit, cependant, de les inviter à exposer clairement la manière dont ils considèrent la réalité ou leur problème. L’attention à leur conception, puis l’explicitation très précise de leur pensée, accompagnée de la schématisation des éléments énoncés, conduit inévitablement à la confrontation avec la réalité indépendamment des représentations du serviteur hiérarchique.



Cependant, ce dernier, dans le but de comprendre son ou ses interlocuteurs récalcitrants devra s’armer de patience pour que son ou ses interlocuteurs dubitatifs, soupçonneux, méfiants de sa bienveillance puissent découvrir comment ils ont construit, structuré et formulé leur pensée. Ce travail d’explicitation sera toujours pour eux marqué d’un soupçon de manipulation. Ce travail d’écoute permet en définitive, de leur faire mettre en évidence les éléments de la réalité observés et pris en compte. Il s’en suit qu’il sera possible de leur faire découvrir en quoi leur pensée n’a pas pris en compte des éléments oubliés  de la réalité  et certaines  de ses contraintes.  Ce travail, après plusieurs tentatives sans mise en échec de leur confiance, peut faire aboutir à l’acceptation de la coopération avec toutes les parties qui acceptent d’obéir et de se subordonner aux contraintes de la réalité ensemble découvertes et non pas imposées par un chef.  



Il advient, toutefois, que malgré tous les efforts certains ne parviennent pas à coopérer, alors la relation doit se conclure sur une séparation. En effet, dans ces conditions, ce n’est pas une contradiction entre deux visions qui s’opposeraient mais bien une non acceptation des contraintes de la réalité qui oblige ; le travail de coopération est incompatible à ce type d’attitude. Le hiérarchique serviteur énoncera qu’il est contraint par les exigences de la réalité et si l’interlocuteur refuse les éléments de la réalité qu’ils viennent de découvrir ensemble, il est de sa responsabilité de les refuser et d’en tirer les conséquences nécessaires : la séparation.



En résumé,



La première compétence du hiérarchique serviteur est la bienveillance avec la sollicitude ; le point de vue de son interlocuteur quand il s’exprime est toujours juste et vrai puisqu’il expose sa vision des choses avec les éléments qu’il a pris en compte.



La seconde compétence est la fermeté intransigeante pour la quête de l’exactitude des représentations de la réalité,  autrement dit, pour la quête de la vérité ; aucune abdication à l'autoritarisme d'un quelconque point de vue ne peut être acceptée, aucun écart à la quête de la vérité n’est tolérable.



Ces deux compétences ne sont pas contradictoires, elles sont complémentaires  car la première prend la personne comme centre de l’attention, la seconde prend  la réalité comme objet de connaissance et centre de contraintes qui obligent toutes les personnes sans indulgence.

 En conséquence, il revient au serviteur hiérarchique la charge d’une part de soutenir avec compréhension les exécutants  en difficulté face à l’intransigeance de la réalité, d’autre part de renforcer la fierté de ceux qui la maîtrisent et en dépassent les obstacles.



C’est ainsi qu’il peut rester fidèle à l'autorité de service même dans la gestion des conflits











Michit R. Comon T. (2006) conflit comprendre pour agir, Lyon, Chroniques sociales

Michit R et H (1998) Identité psychosociale, diagnostic et renforcement, réédition 2008,  Grenoble, ed. MC2R 

Michit R. Comon T. (2016) Quand l’art de manager devient une science, Grenoble, ed. MC2R











[1] Jésus de Nazareth que la tradition chrétienne de l’occident positionne à son origine, reprend la position des  juges et du roi : ils sont tous au service du peuple. Il radicalise cette position en énonçant que le Maître et Seigneur est le serviteur de tous. (Jn 13,14 et Mt23,11) 

[2] Les activités de production, de maintenance, de recherche et développement, et de finance par exemple. Pour réparer un matériel ou le changer en prévision d’une panne, il faut arrêter la production, ce qui implique une perte de productivité immédiate et une perte financière…

[3] C’est en ce sens que Tocqueville, de façon remarquable, énonçait, avec justesse, que la démocratie relevait du « totalitarisme de la majorité ».

[4] Il est rare que les dominateurs le soient de par leur structure, ils le deviennent généralement à leur insu. Mais d’une part, comme les profits sont grands quand ils sont devenus dominants, il est extrêmement difficile de les déloger de leur place, car ils se perçoivent comme indispensables au groupe. D’autre part, comme la prise de pouvoir est un mécanisme de perversion, il est très subtil et très résistant, de plus, il est très rarement voulu puisque la perversion est pour tout humain une antivaleur.

[5] Cette conception de la prédominance des rapports de domination (l’homme est un loup pour l’homme Plaute reprise par Hobbes et Marx) ne répond pas à la diversité des objectifs de relation (Michit R., Comon T. 2006 Conflit comprendre pour agir ed chronique sociale Lyon))

[6] Pour mémoire les objectifs de relation sont au nombre de quatre soit les objectifs de production en coopération, de recherche d’un seul intérêt personnel, la volonté de réaliser des échanges d’être avec une personne pour elle-même, la volonté de protéger un plus faible ou un défavorisé) (Michit H et R 1998) et donc à chaque rencontre il y a au moins quatre configurations possibles pour entrer en relation avec une personne ou un groupe. Il convient donc de savoir à chaque instant quel est la configuration des objectifs priorisés par les interlocuteurs afin de définir pour chacun « sur quel pied danser »…

[7] Un exposé plus conséquent de ces connaissances et compétences se trouve dans « Quand l’art de manager devient une science » Michit R. Comon T. 2016, Ed. MC2R Grenoble.

[8] Le conflit de défense identitaire se manifeste par de l’agressivité contre l’autre, contre des objets mais aussi contre soi la personne se tais, se soumet et se renferme jusqu’à la dépréciation de soi et la dépression ; c’est le début du burn out.

[9] Si l’objectif est de comprendre la structure et le fonctionnement d’un objet (un objet à consommer, un outil ou une machine à utiliser), il convient, de faire raconter la manière dont a été conçue la représentation de cet objet.

[10] Il a été observé que pour qu’une décision-action ou micro action soit ajustée, il faut que son auteur ait pris en compte d’une part 4 perceptions (deux perceptions sensorielles, la loi de situation propre au moment de l’action et un moyen d’action approprié), d’autre part trois enjeux spécifiques à la situation (généralement ces enjeux sont l’activité à réaliser, l’acteur lui-même et les autres qui sont impactés par l’activité.